00:00 CÉDRIC : Bonjour chèr.es auditeurs/ices, merci d’être là, merci pour les écoutes, merci pour les 5 étoiles sur “Apple podcast” et les autres plateformes, merci pour les commentaires que vous pouvez mettre sur vos plateformes d’écoute de podcasts, merci pour votre soutien, vous pouvez maintenant, si vous le souhaitez, nous soutenir en vous abonnant aux formules “Papatriarcat +”, qui vous permettront d’accéder à du contenu sans publicité, et du contenu bonus. Les liens sont en description des épisodes. Je vous souhaite une très bonne écoute.

00:28 GÉNÉRIQUE

00:36 : Bienvenue sur Papatriarcat, le podcast qui réfléchit à la parentalité au XXIe siècle pour l’affranchir du modèle patriarcal.

00:46 CÉDRIC  : Dans cet épisode, j’ai le plaisir de recevoir Isabelle Filliozat. Depuis 1982 elle est psychothérapeute, spécialiste des émotions. Elle est aussi écrivaine, éditrice, conférencière, et plus récemment elle a été vice-présidente de la commission des “1000 premiers jours de l’enfant”. Elle a fait traduire et fait publier un ouvrage qui est sorti en juin 2021 : “Parents, rebellez-vous, stop à la pression du parent parfait”, d’Heather Shumaker. En s’appuyant sur une grande expérience de terrain et en collectivité, l’autrice nous invite à nous libérer du carcan bien-pensant, pour nous recentrer sur l’objectif ; apporter à nos enfants ce dont ils ont besoin pour grandir et devenir de futurs adultes responsables, généreux, et attentifs aux autres, tout en nous respectant nous-mêmes. Elle nous emmène donc sur le terrain et propose 29 règles qu’elle qualifie de rebelles, qui nous sauveront de bien des situations. Et ces règles peuvent être tout à fait étonnantes. Avec Isabelle Filliozat, nous allons donc revenir sur la définition de l’éducation positive, et aussi la définition d’une règle, nous parlerons de certaines règles du livre, comment les appliquer, du sens qu’elles peuvent avoir, et nous évoquerons aussi son parcours personnel, et certaines de ses difficultés en tant que mère. Je la remercie chaleureusement pour cet épisode que j’ai beaucoup apprécié réaliser, préparer, et aujourd’hui diffuser. Ma première question sera simple et si compliquée à la fois, Isabelle Filliozat, c’est quoi la parentalité positive ? Je vous souhaite une très bonne écoute.

02:11 ISABELLE : La parentalité positive c’est une parentalité qui respecte les besoins du parent et de l’enfant. c’est un terme qui a été utilisé par le Conseil de l’Europe, quand ils ont fait toute une étude, ils ont mesuré qu’il y avait encore vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup de violences éducatives, dans toute l’Europe et notamment en France. Et donc ils se sont dit : “Il faut absolument en faire quelque chose, il faut soutenir des actions de parentalité, et il faut transformer notre regard sur l’enfant, et enseigner aux gens une autre façon d’être avec les enfants”. On peut être non-violent. Donc ils ont vraiment monté toute une campagne contre la violence, qui disait clairement “Une main, c’est fait pour tenir, pour soutenir, pour protéger et non pas pour frapper”. Et donc ils ont introduit ce terme de “parentalité positive”. Il y a aussi une “parentalité négative”, la parentalité dite négative, c’est celle qui abîme un enfant, c’est celle qui le violente, c’est celle qui le fait se rétrécir, qui l’empêche de se développer. Donc c’est tout ce qui est de l’ordre de la violence, des carences, quand on ne s’occupe pas suffisamment d’un enfant, ou pas de manière constructive. Il y a des gens qui croient que la parentalité positive c’est un nouveau mouvement, que c’est un truc spécial, etc. Eh bien non, c’est tout ce que nous faisons tous les jours, quand nous accompagnons le développement d’un enfant. Et quand nous faisons quelque chose, nous avons une attitude parentale trop autoritaire, trop dure, violente, à ce moment-là, eh bien ce n’est plus de la parentalité positive. Alors c’est vrai que l’on avait toute une culture avant de parentalité plutôt autoritaire et dans laquelle on construisait toute la relation à l’enfant dans un rapport de force. Et l’on entendait des trucs du style “Qui est le chef ici, qui commande !”, et parfois on entend encore aujourd’hui des parents crier sur leur enfant et entrer dans ce rapport de force, en disant “Mais qui commande ?”. Ce rapport de force, on sait aujourd’hui que ça abîme le cerveau de l’enfant, ça ne l’aide pas à se construire, à se développer. Avant, on croyait qu’il fallait faire remarquer à l’enfant tout ce qu’il faisait mal, pour en faire un bon citoyen, il fallait lui poser des limites, il fallait l’empêcher de vouloir absolument tout, il fallait chaque fois cadrer, freiner. Et donc on est entrés dans une dynamique de conflits quasiment permanente et qui est épuisante. Donc on accuse de temps en temps la parentalité positive de fatiguer les parents, c’est plutôt exactement le contraire, parce que d’expérience, ça soulage vraiment beaucoup de savoir un petit mieux comment s’y prendre et de ne pas s’épuiser dans ces conflits permanents. Parce que, lorsqu’on est en bagarre pour le coucher, en bagarre pour le lever, en bagarre pour l’habillage, en bagarre pour toutes sortes de choses en permanence, ça, c’est vraiment très très fatigant. Donc, la parentalité positive c’est un ensemble de techniques parentales qui ont fait leurs preuves. c’est-à-dire que la science, depuis quelques années, se penche sur la parentalité. Elle analyse, elle regarde, elle étudie. Et l’on observe, quand un parent se comporte comme ci ou comme ça, ce qui se passe dans les années qui suivent, quel genre d’adolescent ça va produire, quel genre d’adulte ça va produire. Donc maintenant on a un petit peu plus de recul sur l’impact d’une parentalité. Évidemment, quand on est individuellement chez soi, on fait l’expérience de quelque chose, ça peut marcher ou ne pas marcher, mais la science ne fonctionne pas comme cela. Elle prend des groupes, et des groupes représentatifs et analyse vraiment, isole les différentes variables, donc tout ce que l’on ne peut pas faire dans nos familles, eh bien ils le font, au niveau des laboratoires et sur une grande échelle. Et ça, ça nous donne des informations. Donc aujourd’hui on a des informations sur le développement de l’enfant, ce qu’il se passe dans son cerveau, ça on ne le savait pas du tout avant. Grâce à l’imagerie fonctionnelle, maintenant, on a un regard sur ce qu’il se passe, et on comprend mieux un certain nombre de ses réactions, que l’on était obligés d’interpréter avant, en fonction de notre cadre de référence. Mais on a les informations sur le développement de l’enfant et on a de plus en plus d’informations aussi sur “quelles sont les attitudes parentales qui vont produire des effets positifs et quelles sont les aptitudes parentales qui vont produire des effets négatifs”. Il y a de plus en plus d’études dans le monde anglo-saxon, qui disent et qui montrent que les techniques de parentalité positive, les attitudes de parentalité positive, vont mener à une baisse, très notable puisque dans une étude, ils ont noté qu’il y avait 79 % de moins de comportements excessifs débordants. c’est phénoménal 79 % de moins. On n’a jamais vu ça. En même temps, c’est complètement logique, puisque l’on utilise des techniques qui sont éprouvées et qui respectent les besoins et qui respectent le fonctionnement du cerveau de l’enfant. Donc c’est juste logique que cela fonctionne. c’est quand même stupéfiant. Et donc, la parentalité positive, dans la réalité, ça donne des parents qui sont moins fatigués (quand je dis dans la réalité c’est-à-dire pas dans l’expérience individuelle, mais selon les études scientifiques), qui sont moins épuisés, moins de burn-out parental, et ça donne des enfants plus responsables, plus empathiques, qui savent mieux réguler leurs émotions, qui savent mieux faire face tout seuls, c’est-à-dire en autonomie, aux différentes difficultés de la vie. Ils savent surmonter les épreuves, ils réussissent mieux scolairement, etc. Enfin bref, sur tous les domaines, on a vraiment un gain important de ce que l’on appelle la parentalité positive.

09:01 CÉDRIC : Eh bien, merci pour cette définition. Je reviendrai sûrement plus tard sur les parents et la parentalité positive. Là, ce qui m’a surtout interpellé c’est donc ce livre “Parents, rebellez-vous ! Stop à la pression du parent parfait”. Il est composé de 29 règles qui sont à chaque fois détaillées de façon très pragmatique dans leur mise en œuvre. Si je comprends bien, cela implique que l’éducation positive, ce n’est pas une absence de règles.

09:21 ISABELLE : Ah oui, ça, c’est certain. Il n’y a pas une absence de règles. c’est vrai que c’est très important de souligner ce point-là parce qu’il y a énormément de gens qui disent, par exemple, “La parentalité positive, c’est ne jamais dire non, c’est être toujours souriant, c’est être gentil avec son enfant, c’est dire toujours oui à tout, etc.”. En fait non, pas du tout. Ce n’est pas “Je suis positif en permanence”, c’est être positif parce que cela produit des effets positifs, c’est tout. Donc, les 29 règles, eh bien ce sont des règles rebelles, comme dit l’autrice de ce livre que j’ai adoré moi aussi quand je l’ai découvert, aux États-Unis. Donc j’avais vraiment très très envie qu’il soit disponible pour le public français, c’est pour ça que je l’ai fait traduire. Et ce qui est vraiment très très intéressant dans ce livre c’est qu’elle décrit la manière dont des règles (qui sont rebelles parce qu’elles sont souvent à l’envers de celles qu’on a l’habitude d’avoir dans notre tête) fonctionnent incroyablement. Elles permettent d’entrer vraiment dans ce que l’on appelle la parentalité positive. La parentalité positive, comme je le disais tout à l’heure, c’est finalement tout ce qui améliore la qualité de vie, la qualité familiale, et tout ce qui permet un meilleur développement de l’enfant. La parentalité positive c’est une attitude intérieure, mais c’est aussi un ensemble de techniques. Et donc, ce que j’ai aimé dans ce livre, c’est que c’est très concret. Ce sont des techniques et des façons de faire, de multiples exemples, qui nous permettent de bien comprendre et de voir comment nous pouvons appliquer tout ça dans nos familles, dans nos écoles, dans nos structures de petite enfance, parce que c’est vrai, ce n’est pas toujours simple. Il y a les grandes lois du développement de l’enfant et puis il y a le terrain. Voilà. “Qu’est-ce que je fais sur le terrain quand j’ai deux gamins qui se chamaillent, qu’est-ce que je fais sur le terrain quand il y a ceci, ou cela ?”. Et très souvent, les parents se demandent “Mais quelles règles est-ce que je dois poser ?”. Alors, déjà, le fait de dire “poser” une règle, c’est un petit peu un contresens, parce qu’une règle, elle ne doit pas être posée. Une règle permet un fonctionnement. Quand vous ouvrez une boîte de jeux, vous avez le plateau de jeux, vous avez des pions, vous avez un dé, des cartes, il y a toutes sortes de choses. Et il y a la règle du jeu. Et la règle du jeu, ce n’est pas quelque chose que l’on pose, c’est un ensemble de permissions et de façons de faire, en fait, les règles, ce sont des procédures. Donc c’est se dire “Voilà comment peut-on faire pour vivre en société de manière agréable”. Voilà comment nous pouvons jouer à ce jeu de société. Ce qui est intéressant, c’est que dans les jeux de société d’aujourd’hui, souvent il y a plusieurs sets de règles. c’est-à-dire que l’on peut jouer une règle pour un jeu rapide, ou alors pour un jeu plus lent, on peut le jouer en compétitif où l’on peut le jouer en coopératif, donc on voit bien que les règles ne sont pas absolues. Parfois, les parents se disent qu’une règle c’est une règle, il y a une espèce de côté absolu qui n’a pas de sens, en réalité. Parce que, si c’est absolu, ce n’est plus une règle, c’est une loi. Et les lois, eh bien il y a les lois de la République que nous avons à respecter, mais à l’intérieur de la famille, une règle PERMET le fonctionnement harmonieux, tous ensemble. Donc l’objectif d’une règle, il est là. Avoir des règles pour l’heure du coucher par exemple, c’est surréaliste. Il y a énormément de parents qui croient qu’il faut une règle pour l’heure du coucher. Mais on ne peut pas régler des besoins physiologiques. Le coucher, c’est un besoin physiologique. Dormir, c’est un besoin physiologique, notre job de parent, ce n’est pas de poser une règle et de demander à l’enfant de se conformer à cette règle (je veux dire, aucun d’entre nous, si l’on fait un voyage de paris aux États-Unis, aucun d’entre nous ne va réussir à dormir malgré le décalage horaire), donc s’endormir, on ne peut pas faire ça sur commande. Cela génère des tas de conflits entre les parents et les enfants, parce que tout simplement, on a mis une règle là où il ne devrait pas y en avoir. Notre job c’est d’aider l’enfant à s’endormir, d’aider l’enfant à respecter son sommeil, donc pas de règles d’heures de sommeil ne veut pas dire “On ne fait pas attention, on laisse tout faire”, pas du tout. Comme vous le soulignez, dans ce bouquin il y a 29 règles parce que oui, on a absolument besoin de règles, pour fonctionner ensemble. c’est “Comment fait-on pour être heureux ensemble, comment fait-on dans toutes sortes de situations complexes”. Eh bien, on a besoin de clés, de procédures, comment on fonctionne. Voilà, ces règles, elles donnent aussi des droits. Et ça c’est important parce que trop souvent, on finalise les règles en termes d’interdits, et un interdit, ça bloque, ça freine, mais l’objectif d’une règle c’est davantage une façon de guider l’enfant, une règle, ça guide un trait, ça oriente. Donc notre job en donnant des règles aux enfants, en discutant ensemble les règles, parce qu’il y a toutes sortes de règles qui gagnent à être discutées ensemble et rediscutées lorsqu’elles ne sont plus fonctionnelles, quand elles n’aident plus la petite société familiale à fonctionner correctement. Donc, tous ces sets de règles sont là pour fournir à l’enfant un cadre qui lui permet de se développer, de développer toutes les parties de lui-même. Les règles ont pour fonction de protéger les droits des enfants, et nombre de règles dites rebelles de Heather Shumaker, c’est justement ça, c’est donner le droit aux enfants de toutes sortes de choses. Le droit de ne pas prêter, le droit de mettre un tutu, le droit de ceci, le droit de cela, et qui finalement sont des règles hyper utiles, parce que ça permet tant aux parents qu’à l’enfant d’explorer une partie de lui-même.

15:42 CÉDRIC : Eh bien, merci pour cette définition très complète de la règle, que je rejoins complètement. Et sur le coucher, pour les parents qui nous écoutent, je me permets de préciser que ça n’empêche pas d’introduire des rituels qui sont des outils d’accompagnement très efficaces, et que les enfants apprécient particulièrement. Et les parents, souvent, peuvent se dire que ce sont des règles et non non, ce sont juste des environnements qui favorisent l’accompagnement des enfants.

16:08 ISABELLE : Exactement. c’est ça qui est important. Ça pourrait être une règle de dire que tous les soirs il y a un rituel d’accompagnement, ça, c’est une règle [rires]. Parce qu’une règle c’est une procédure. Mais ce n’est pas “On se couche à 20 h, etc.” et pour faire démarrer le rituel, je me souviens d’une maman qui me disait “Mais c’est terrible mon enfant ne s’endort pas, je mets tellement longtemps à l’endormir, et j’ai beau faire le rituel ça ne fonctionne pas”, mais en fait elle n’avait pas réalisé qu’elle avait décalé son enfant, et elle n’attendait pas les signaux du sommeil. Il y a des signaux du sommeil, si l’on repère les signaux et qu’on lance le rituel à ce moment-là, alors on va dans le rythme de l’enfant. L’objectif c’est vraiment de respecter et d’accompagner, de favoriser un endormissement naturel, au moment où c’est pertinent de le faire.

17:04 CÉDRIC : Complètement. Par endroits, dans ce livre, on peut même lire que parfois il est préférable de faire cesser un comportement ou une activité lorsque l’enfant n’arrive pas à être dans le cadre qu’on lui a donné. Quelle différence y a-t-il entre agir à ce moment-là et donner une punition ?

17:17 ISABELLE : Alors c’est très différent parce que la punition vise à faire comprendre à l’enfant qu’il a fait quelque chose de mal. Punir, c’est une conséquence d’un comportement qui est jugé mauvais. Et là dans la règle telle qu’elle est, c’est plutôt protéger l’enfant de lui-même, finalement. c’est ne pas le laisser s’abandonner à ses impulsions diverses et variées. Manifestement il a un besoin intérieur, il a quelque chose dans son cœur qui ne va pas, il a peut-être un trop plein d’énergie, il a de la colère, il y a quelque chose qui se passe en lui, qui fait qu’il n’est pas disponible. Et donc ce n’est pas la peine de jouer aux petits chevaux ou au foot à ce moment-là parce qu’il n’est pas disponible pour ça. Donc on va le protéger en interrompant le jeu, de manière à pouvoir se pencher sur ce qu’il se passe pour lui. Mais la punition, ce serait de dire “Bon tu t’assieds sur le banc maintenant tu attends que nous on ait fini de jouer”, tandis que ce qu’elle, elle dit, c’est “Stop, je vois que là tu n’es pas en état de jouer donc on arrête le jeu, et je vais m’occuper de toi et écouter ce qu’il se passe pour toi”. Donc on va davantage aller dans ce qui se passe pour l’enfant. Évidemment, s’il y a tout un groupe, on va aussi gérer le groupe, donc peut-être que le groupe va continuer, mais on ne va pas laisser l’enfant tout seul avec son souci. On ne va pas l’isoler, on va vraiment l’accompagner. Est-ce que c’est assez clair, la différence ?

18:55 CÉDRIC : Tout à fait. Eh bien, écoutez en tout cas j’espère qu’elle apparaît plus claire. Pour moi c’est le cas, elle apparaît vraiment plus claire et justement il y a aussi cette question de sens, de cohérence, que j’entends dans votre définition. Alors que pour moi la punition n’a pas de cohérence. La punition n’est qu’un mécanisme de domination, et il n’y a aucune cohérence alors que justement dans le respect de la règle et du cadre, il y a de la cohérence. Ça me paraît être un point important.

19:24 ISABELLE : Oui et puis il y a des moments où on ne peut tout simplement pas, l’enfant est débordé par toutes sortes de choses, et on ne peut pas jouer avec lui, ce n’est pas possible. On le sent bien, on commence à s’énerver et à se sentir pas bien, etc., donc là il vaut mieux interrompre le jeu. Et donc on interrompt, non pas dans une dynamique de punition, mais c’est simplement un constat. “Bon là, on n’est pas en train de faire une activité qui correspond à ton besoin immédiat, et puis ça ne correspond pas à mon besoin non plus si l’on continue, moi je vais me sentir de plus en plus énervé.e donc stop”. Et donc on peut tout à fait interrompre un jeu que l’on est en train de faire avec un enfant, une activité que l’on est en train de faire avec un enfant. On peut l’interrompre parce que cela ne nous convient pas, on sent que quelque chose ne convient pas dans la situation, et donc là, on dit stop. Ce stop-là, il est important à entendre pour l’enfant, qui du coup comprend que là “Mon comportement a débordé et maman, papa n’est pas confortable. Ben oui c’est vrai, si je continue à faire ça eh bien ils n’ont plus envie de jouer avec moi”. Ils ont besoin aussi d’apprendre ces choses-là parce qu’avec leurs copains, ça va arriver. Ça n’a rien à voir avec une dynamique de punition : “Eh bien puisque tu es comme ça alors je te laisse”. En fait, c’est l’atmosphère intérieure, mais il n’est pas question de se forcer à rester dans des situations qui ne sont pas confortables, parce qu’à chaque fois que l’on est faux avec soi-même, finalement, on est faux avec l’enfant aussi. Plus on va être juste avec soi-même et oser verbaliser ce que l’on ressent réellement en tant que parent, plus on va aider l’enfant à comprendre ce qui se passe. Ça lui permet de développer son empathie, ça lui permet de développer sa conscience de l’impact de ses comportements sur autrui.

21:23 CÉDRIC : Et je me permets de rajouter que ça lui permet aussi d’apprendre par l’exemple, qu’on a le droit d’exprimer ses limites.

21:29 ISABELLE : Tout à fait.

21:31 CÉDRIC : Et je souligne dans votre propos, même si l’on y reviendra plus tard, que l’éducation positive est donc dans le respect des règles et prend aussi totalement en compte les besoins du parent. c’est quelque chose que vous avez précisé tout à l’heure, mais je me permets de le souligner encore.

21:46 ISABELLE : c’est déjà dans la définition du Conseil de l’Europe, et c’est vraiment essentiel parce que si le parent ne tient pas compte de lui-même, il ne va pas durer longtemps. On ne peut pas rester patient, on ne peut pas rester attentif, non. On a besoin nous aussi d’être remplis d’énergie, on a besoin d’avoir toute notre disponibilité et donc oui c’est très important de prendre soin de soi. Et dans le premier atelier que j’ai créé, qui s’appelait le “Stop aux crises”, stop aux crises c’est stop aux crises de l’enfant, mais c’est aussi stop aux crises du parent, et c’est d’abord “Je m’occupe de moi-même”. Donc le tout premier exercice, la toute première chose que l’on fait, c’est que l’on rappelle que dans un avion, quand on s’installe, l’hôtesse de l’air, ou le steward de l’air d’ailleurs, montrent toutes les consignes de sécurité. Ils nous disent qu’en cas de dépressurisation (et ça, c’est sûr que dans la famille il y a dépressurisation), pouf le masque à oxygène tombera devant nous. Alors le problème c’est que dans la famille on ne le voit pas le masque, il faut en trouver un. Et ce que disent l’hôtesse ou le steward c’est qu’il faut mettre le masque à oxygène sur notre propre visage avant de le mettre sur l’enfant. Donc, concrètement, ça signifie que c’est important de s’occuper de soi avant de s’occuper de l’enfant. Et que si je ne suis pas dans une disposition qui me permet de m’occuper de l’enfant, d’intervenir pour ceci et cela… Alors évidemment, s’il est en train de se noyer, je plonge, hein, je ne m’occupe pas de savoir si j’ai soif, etc., il y a des cas d’urgence, mais de manière générale, je prends d’abord soin de moi. Si par exemple, je m’énerve énormément parce que mon gamin est en train de faire ses devoirs et là je craque, j’ai envie d’intervenir, non. D’abord, je mets mon masque à oxygène, je vais boire un verre d’eau, je vais marcher un peu, et une fois que moi je suis tranquille à l’intérieur et serein.e, alors je vais voir l’enfant et là je peux avoir une parentalité peut-être un peu plus positive. Sinon il y a beaucoup de risques pour que ça coure dans tous les sens.

24:05 CÉDRIC : Il y a un point qui m’est apparu spécialement important dans le livre, c’est la règle numéro 4, qui dit en substance que toutes les émotions sont OK, mais que tous les comportements ne le sont pas. Qu’est-ce que ça apporte à l’accompagnement de l’enfant cette distinction entre l’émotion et le comportement ?

24:20 ISABELLE : Les émotions, ce sont nos réactions d’adaptation aux situations. Donc les émotions ce sont la peur, la colère, la tristesse, le dégoût, la honte, la joie, l’amour. Ces émotions, ce sont des réactions biologiques. c’est donc très important de les accueillir. Une émotion est une réaction biologique, une réaction physiologique de notre organisme. Cela veut dire qu’à l’intérieur de notre organisme, il se passe toutes sortes de choses. Notre corps réagit pour nous permettre de nous adapter à notre environnement. Donc c’est pour ça qu’il est très important que toutes les émotions soient forcément OK. c’est même impressionnant que l’on ait besoin d’en faire une règle. Mais oui, ça dit que les émotions c’est biologique donc c’est forcément OK. En revanche, les comportements ne sont pas toujours OK. Par exemple, la colère ou la peur vont déclencher chez un tout-petit une irruption physique, et cette irruption physique risque de faire du mal à un autre enfant ou à un adulte qui est présent. Donc je peux être en colère, je peux avoir peur, j’ai le droit d’avoir toutes les émotions que j’ai, mais je ne vais pas exprimer mon émotion n’importe comment. Je peux me sentir vraiment furieux que mon petit copain m’ait empêché de descendre sur le toboggan, mais je ne le mords pas. Mordre, c’est un comportement. c’est un comportement qui est quand même inscrit biologiquement, parce que c’est vrai, ça fait partie des réactions d’attaque. Quand je suis sous stress, je peux avoir tendance à mordre, à taper ou à lancer, mais les tout-petits, TOUS les tout-petits, passent par une période où ils mordent, tapent et lancent. c’est juste naturel.

26:39 CÉDRIC : Je confirme.

26:40 ISABELLE : [Rires] Eh bien oui. Et si l’on punit ces comportements, on va les renforcer. On va plutôt éduquer pour permettre d’autres formes de comportements qui soient socialement acceptables, et qui permettent à l’enfant plus grand de pouvoir verbaliser sa colère, exprimer sa colère par exemple en tapant des pieds quand il est encore petit, taper des pieds ça permet de décharger le trop-plein d’énergie, mais en même temps ça ne fait mal à personne, on peut déchirer des papiers, on peut jouer aux ninjas… Il y a plein de petites techniques pour libérer les tensions que l’on peut éprouver dans le corps, parce que c’est vrai, c’est quand même important de mesurer combien les émotions, c’est dans le corps. c’est physique et biologique. Ça se passe dans le corps, c’est naturel. Par contre on ne va pas laisser n’importe quoi se faire, donc tous les comportements que j’ai lorsque j’éprouve des émotions ne sont pas acceptables. On va donc enseigner cela aux enfants et lorsque l’on voit un comportement débordant, on va de suite intervenir, interrompre le comportement débordant et enseigner un autre comportement qui soit approprié.

27:53 CÉDRIC : Et là pour le coup il y a une question qui m’est venue en vous écoutant et puis aussi à la lecture de ce livre, où je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que quand même, on est dans une société… et j’en ai été le premier exemple pendant des années de ma vie, où justement cette distinction entre émotions et comportements, moi je n’ai pas été élevé dans cette distinction-là, clairement. Et c’est malheureusement aussi le cas de plein d’adultes. Dans quelle mesure cette règle est-elle aussi pertinente pour les adultes à appliquer, au vu de ce que vous avez répondu précédemment et en vue de donner à l’exemple à l’enfant ?

28:26 ISABELLE : Eh bien pour la colère c’est clair ; je peux être en colère, mais je ne frappe pas mon enfant. Bon ceci dit, on va plutôt travailler à essayer de déraciner cette colère, on éprouve beaucoup de colère parce que l’on interprète le comportement de l’enfant comme intentionnellement contre nous ou bien on a l’impression que notre colère peut changer son comportement, mais en fait, non. La colère est une émotion qui nous appartient à nous, lorsque nous sommes frustrés. c’est vrai, nous vivons toutes sortes de frustrations, mais c’est important que nous montrions à nos enfants le modèle de “comment on fait”. Par contre, on peut lui montrer des colères que l’on a envers d’autres adultes. Par exemple “Ah je suis super énervé.e là, ce réparateur de TV est insupportable, je n’en peux plus, j’ai envie de casser la TV, je vais plutôt souffler”. c’est-à-dire que l’on va décrire ce qu’on a envie de faire, l’impulsion du comportement excessif, parce qu’on le ressent à l’intérieur, on la ressent à l’intérieur, cette envie de taper la tête de notre conjoint sur le mur, on la ressent cette envie de casser des choses, mais on ne le fait pas. Heureusement qu’on ne le fait pas. Enfin, certains le font, parce que justement ils n’ont pas appris à connecter le cerveau préfrontal avec les zones du stress, et comme enfants on ne leur a pas enseigné tout cela, du coup, ils ne savent pas arrêter un comportement. c’est pour ça qu’il est extrêmement important de savoir écouter et sentir : je sens l’émotion qui vient en moi, j’identifie cette émotion, je sens l’impulsion taper, frapper, lancer, ou mordre, mais j’inhibe ce comportement, je réfléchis et je vais montrer ma colère, calmer le jeu à l’intérieur de moi, et montrer ma colère de manière socialement acceptable et productive, parce que frapper, lancer ou mordre ne va pas m’aider, ni dans mon entreprise, ni avec mes collègues, ni avec qui que ce soit. Donc ce sont des réactions biologiques installées à l’intérieur de nous depuis des milliers d’années, mais elles ne sont plus appropriées dans nos sociétés d’aujourd’hui.

31:11 CÉDRIC :  Bien sûr, complètement. Et c’est vrai que cette règle me semble essentielle pour les enfants comme pour les adultes, et j’espère que beaucoup de gens la liront et essaieront de s’en inspirer. Notamment comme vous l’avez dit dans le monde professionnel, je pense qu’il y aurait beaucoup de choses à dire dans le monde de l’entreprise avec cette règle [rires]. La question du genre est aussi abordée dans ce livre, notamment dans la règle numéro 13, “Un panneau interdit aux filles ou aux garçons, c’est OK”. Selon vous, est-ce que la confirmation de l’identité de genre est une démarche naturelle des enfants, ou bien est-ce que c’est parce que la société est genrée qu’ils recherchent cette confirmation ?

31:48 ISABELLE :[Rires] En fait, c’est l’œuf et la poule, donc on ne saura pas, puisque nous vivons dans une société. Notre société nous imprègne, et donc on ne peut absolument pas savoir ce que ce serait si nous n’avions pas ces codes sociaux, etc. Ce qui est très important dans cette règle, c’est qu’elle donne une permission. Elle donne une permission de se sentir un garçon ou de se sentir une fille et d’exclure l’autre, parce qu’il y a des moments où l’on a besoin de ça. Mais attention, parce qu’elle est aussi pondérée par une autre règle : “Un garçon a le droit de mettre un tutu”. Donc, l’idée de base du livre c’est “Donnons aux enfants le droit d’explorer tout ce qu’ils ont besoin d’explorer”. Et lorsque je dis “Ce jeu-là, on a fait une petite maison et notre maison est interdite aux garçons”, eh bien c’est peut-être parce que les garçons de ma famille, ce sont des garçons un peu trop turbulents, et là je suis en train de faire un jeu un peu plus calme. En fait, elle donne aussi des exemples, des précisions, et donc il y a des garçons qui peuvent tout à fait dire “Ah eh bien aujourd’hui je suis une fille” et donc hop, il rentre aussi. Il y a de l’exploration en fait. Donc c’est vraiment l’idée que nous ne pouvons pas, nous, savoir pour les enfants ce qui est bon. On ne va pas les enfermer dans des cadres, on va justement laisser venir les choses et leur permettre de savoir et d’identifier ce que cela leur fait quand ils jouent entre garçons et qu’ils excluent les filles, qu’est-ce que cela leur fait quand ils sont obligés de jouer avec garçons et filles. Comment est-ce que cela fonctionne, tout ça ? Donc, ce que note Heather Shumaker c’est que plus l’on donne de permissions aux enfants (être différents, faire des choses qu’ils ont envie de faire et que d’habitude on n’a pas le droit de faire, parce que la plupart des parents vont dire “Tu n’exclus pas ton frère, tu l’intègres dans ton jeu”)… à partir du moment où ils ont le droit de ne pas prendre le frère dans le jeu, eh bien ce qui se passe c’est qu’ils jouent un peu comme ça, mais parce qu’ils en ont le droit, ils vont rapidement trouver une astuce pour inclure le frère. Et c’est ça qui est la magie de ce bouquin, c’est qu’elle montre cela, c’est sur le terrain qu’elle a pu recueillir toutes sortes d’exemples où plus je vais permettre à un enfant de protéger son espace, “Oui tu as le droit de ne pas prêter ton seau, de ne pas prêter tes jouets, oui tu as le droit de décider avec qui tu joues et avec qui tu ne joues pas”, plus ce droit est respecté, plus du coup l’enfant se sent en sécurité et quand il se sent en sécurité, il a envie d’explorer, d’ouvrir, d’inclure autrui et donc il va trouver une astuce pour inclure l’autre. c’est assez magique de voir ça.

35:03 CÉDRIC : Et je précise, pour le coup, que ce livre ne s’appuie pas sur une expérience individuelle de l’auteure, mais bien sur plusieurs dizaines d’années d’expérience dans une structure collective avec des groupes de dizaines et de centaines d’enfants qui sont passés par là, et donc ce n’est pas du tout anodin ce qui est écrit. Je précise pour nos auditeurs et auditrices, pour qu’ils sachent que c’est bon, on peut y aller. Les pistes pour appliquer une parentalité positive évoquée dans le livre et dans vos travaux aussi sont passionnantes. Elles demandent tout de même aux parents une certaine énergie et là je fais aussi appel à vos travaux dans le cadre du rapport sur les 1000 premiers jours de l’enfant : pensez-vous que l’environnement des parents et la place faite à la parentalité dans la société aujourd’hui, favorise l’évolution et le changement de paradigme sur l’éducation ?

35:50 ISABELLE : Alors ça commence un peu, mais clairement, pas suffisamment. Aujourd’hui, nous ne faisons pas suffisamment de place aux enfants. On considère l’enfant comme un “empêcheur de tourner en rond”, un empêcheur de travailler, un empêcheur de carrière, c’est un empêcheur. Et donc, tant que nous voyons l’enfant comme un empêcheur… “Attention, il va abîmer les plates-bandes, attention il ne faut pas qu’il coure, attention il fait trop de bruit”, on a l’impression qu’il gêne tout le temps. Donc avec ce regard-là, ce n’est pas évident. La société hyper compétitive ne permet pas non plus de prendre suffisamment de temps, de se sentir confortable, de prendre du temps avec son enfant, cette société où on a nos téléphones en permanence, les écrans partout qui sollicitent notre attention, etc. Tout ça, effectivement, ça ne favorise pas un regard attentif à l’enfant et une place de l’enfant dans notre vie. En même temps, il y a une aspiration des parents à une meilleure relation, et c’est pour cela que le gouvernement vient de donner 28 jours de congé paternité, parce que l’on sait combien c’est important. Et donc, ça commence à changer, et je pense que petit à petit, le regard va changer de plus en plus et toute la société va entrer dedans. Il y a près de 80 % des salariés qui sont ou vont être parents. Ce sont des chiffres qu’une entreprise ne peut pas ignorer. Il y a de plus en plus d’entreprises qui prennent en compte cette dimension de la parentalité et qui veulent fournir des outils de parentalité parce qu’ils ont compris que s’ils donnent davantage de congés parentalité, de congés de parents à leurs employés, s’ ils les aident dans leur parentalité, s’ils sont heureux finalement, dans leur parentalité, eh bien ils vont être bien meilleurs au travail. En tout cas c’est vraiment l’expérience des pays nordiques, c’est de l’expérience de tous ces pays où il y a une grande flexibilité du travail et une attention à l’enfant. Et c’est considéré comme naturel d’être également parent. Il n’y a pas de “Soit je suis professionnel, super efficace, etc.” soit “Je suis un parent attentif”, c’est vraiment “Nous sommes une personne, et il y a des moments où l’on va donner plus d’attention à notre travail, des moments où l’on va donner plus d’attention à notre enfant, mais clairement, nous avons besoin de grandir sur tous les plans”. Et les attitudes anciennes qui consistaient à dire : “Bon j’espère que vous n’aurez pas d’enfants parce que nous attendons de vous d’être vraiment performants”, eh bien ça, ça va disparaître petit à petit. Il y a de plus en plus d’études qui montrent qu’une femme est plus performante au travail quand elle a un enfant, on a l’impression qu’elle va tout le temps être absente parce qu’elle est tout le temps chez le pédiatre, mais en fait en réalité, non, son absentéisme n’est pas beaucoup plus important. Et surtout, son cerveau se développe différemment et elle est capable de gérer les choses de manière plus efficace. Alors sauf dans les deux premières années, où elle a une mémoire qui diminue, ça, c’est vrai qu’il faut en tenir compte aussi. Mais, de la même manière qu’une femme est une femme, elle a des rythmes biologiques et elle n’est pas la même selon les périodes de son cycle, il y a des périodes du cycle où elle va être super créative, elle va vraiment bosser énormément et d’autres périodes où il y a davantage besoin de maturation intérieure et ce n’est pas le moment de lui demander d’être sur le devant. De la même manière que si l’on respecte un peu plus la biologie féminine, si l’on respecte aussi davantage la biologie d’une maman qui allaite, d’une maman qui a des enfants et d’un papa qui vient d’avoir des enfants (parce que même le cerveau d’un papa et les hormones d’un papa sont modifiés par le fait d’être parent), donc si l’on sait respecter ça, alors tout le monde sera nettement plus heureux, et oui les sociétés seront tout à fait productives et les entreprises pourront réussir aussi.

40:25 CÉDRIC : Vous parlez notamment du congé paternité, co-parent, qui a évolué. Selon vous, quel levier d’évolution sociale vous aimeriez voir être mis en œuvre sur le sujet de la parentalité, de la place de l’enfant, celle des parents, quels autres leviers pourrions-nous activer dans la société en France ?

40:39 ISABELLE : Alors le premier levier, c’était vraiment le congé. J’en ai largement parlé avec nos amies québécoises et norvégiennes. Dans leurs pays c’est toujours ce qui a fait bouger les choses. c’est quand le parent se rend compte de ce que ça peut être. En fait, si l’on ne connaît pas, que l’on est forcé de quitter son enfant parce que “c’est comme ça”, on n’imagine même pas ce que l’on rate. Et donc à partir du moment où l’on va avoir du temps avec l’enfant (donc là c’est un petit temps j’espère que le congé maternité va être non seulement allongé, mais rémunéré correctement. Il n’est pas normal que notre congé maternité ne nous donne pas 100 % de notre salaire, il n’est pas normal que notre congé paternité ne donne pas 100 % du salaire)… La place de l’enfant, c’est important. S’occuper d’un enfant, prendre soin d’un enfant, eh bien ça vaut de ne pas être payé des clopinettes. Donc c’est important que l’on respecte ça aussi. Le levier, ça va être de passer du temps. Pour le congé maternité, quand on demande à une maman de retourner au travail quand son enfant a 3, 4 mois, c’est difficile. Et quelquefois les mamans ont envie de retourner au travail, parce qu’elles n’en peuvent plus, c’est dur, c’est éprouvant. Un petit bébé, quand on est toute seule avec ce bébé, c’est super dur, même quand il y aura un peu plus le papa, ça reste super dur. c’est pour ça que j’ai vraiment insisté sur la nécessité de mettre en place des groupes de parents dans des maisons des “1000 jours”, des endroits où l’on puisse se réunir, partager des informations, partager des impressions, partager son vécu, raconter ses émotions. Toute maman a besoin de raconter son accouchement plusieurs fois pour le digérer. c’est quand même un événement hyper important dans une vie, et on a besoin d’avoir des gens qui nous écoutent. Donc ces groupes nous permettraient d’une part de développer nos compétences parentales, et d’autre part d’apprendre toutes sortes de choses sur le développement des enfants et les techniques parentales qui sont efficaces, qui sont éprouvées. Et puis ça nous permet aussi de partager, donc tout le travail de parent est moins lourd sur nos épaules. La responsabilité est moins lourde sur nos épaules. Le burn-out est lié à l’isolement, il est lié au fait que l’on se sent tout seul.es, et on doit tout résoudre et trouver toutes les réponses dans notre propre tête. c’est vraiment trop difficile. Les trois premiers mois, en plus, ce sont des mois d’ajustement. Le bébé est tout nouveau, et pour nous aussi c’est tout nouveau d’avoir un bébé, donc il faut un peu de temps pour s’ajuster, et trouver le bon rythme. à trois mois, l’enfant commence à sourire davantage, il commence à être plus intéressé, plus réactif, à se mouvoir. Ces moments-là sont des moments d’explosion relationnelle. Et c’est quand même dommage de retourner au travail juste à ce moment-là. Parce que, finalement, ce sont les personnels des crèches et les assistantes maternelles qui vont bénéficier de tout cela, et nous on ne le sait pas qu’on le loupe, puisque l’on est retourné au travail juste à ce moment-là, et on se dit “Pfiou, c’est épuisant un enfant”. Oui c’est vrai, c’est fatigant, il y a moyen de faire en sorte que cela soit moins fatigant, mais surtout, à partir de 3 mois, c’est nettement moins fatigant. c’est beaucoup plus interactif en tout cas. Il y a beaucoup plus de joie et de plaisir, donc c’est pour cela que c’est vraiment très important. Si, et les papas et les mamans peuvent se partager un congé parental rémunéré à 100 %, pour qu’il n’y ait pas de choix du type “c’est toi qui t’arrêtes”, que vraiment tout le monde est correctement rémunéré et que l’on peut prendre 10 semaines de congés, ou plus, avec l’enfant, alors on va expérimenter, on va pouvoir rencontrer notre enfant et ça nous donnera envie d’en savoir plus, d’exercer notre parentalité de plus en plus. Et je pense que petit à petit ça va changer profondément notre regard, nous permettre de devenir encore plus curieux “Ah bah tiens là il faut que je comprenne, ça m’intéresse, donc je vais bouquiner plus, regarder des vidéos, me renseigner”. Forcément, si j’ai du temps avec mon enfant, je suis plus sensible à ce qu’il vit, plus sensible à ses besoins, et du coup la relation est de plus en plus forte et j’ai envie d’en savoir de plus en plus.

45:31 CÉDRIC : Alors je vous rejoins encore une fois à 100 %. Moi-même j’avais pu prendre un congé parental pendant quelques mois et j’ai connu justement ce moment à 3, 4 mois où ma fille est devenue une explosion de créativité, de contact, ça a été formidable de vivre ces moments-là. La relation gagne vraiment en richesse. c’est vrai que c’est fatigant, mais après ça devient différent et ça devient aussi source d’énergie, de bonheur, en tout cas plus que les mois précédents à mon sens, dans la relation au quotidien.

46:07 ISABELLE : Tout à fait et puis on se sent plus compétent en tant que parent et du coup ça nous valorise, on se sent important pour l’enfant, donc c’est essentiel.

46:18 CÉDRIC : Et c’est vrai qu’il y a ce sujet de congé paternité qui est certes un pas en avant, mais qui reste somme toute assez léger et l’on espère que l’on ne s’arrêtera pas là (notamment dans la partie obligatoire). Mais voilà, il est vrai que cela constitue des moments extrêmement importants pour le père, comme pour la mère ou le co-parent, et c’est vraiment un gros levier d’évolution sociale sur lequel je vous rejoins. Le livre titre “Stop à la pression du parent parfait”. Dans quelle mesure pensez-vous que l’éducation positive développée ces dernières années a pu amener des parents à se sentir sous pression et sous le coup d’injonctions ?

46:55 ISABELLE : En fait, les parents sont sous pression depuis toujours. Dès que l’on a un enfant, on a envie qu’il soit brillant, le meilleur, et on veut être un bon parent. Avant, on disait “une bonne mère”, c’est presque un pléonasme : on est forcément, on doit être une bonne mère. Donc la pression à être une bonne mère, elle était phénoménale. Bien avant toute cette parentalité positive, j’ai co-écrit avec ma mère un livre qui à l’époque s’appelait “Le défi des mères” et qui maintenant s’appelle “Maman je veux pas que tu travailles”. c’est un livre sur le sentiment de culpabilité des mères. Et donc nous avons écrit ensemble ce livre dans les années 90, c’était bien avant cette parentalité positive et on mesurait vraiment combien les femmes se mettaient la pression. Alors les pères, beaucoup moins, à l’époque, ils ne se mettaient pas la pression.

47:57 CÉDRIC : Totalement.

47:58 ISABELLE : Voilà, ça, c’est nouveau. Donc c’est chouette que les papas se mettent aussi un petit peu la pression. Et ce qui était intéressant d’ailleurs c’est que dans notre étude, on a pu identifier les différents items qui déclenchaient le sentiment de culpabilité. Et les mamans qui se sentaient le moins coupables (parce que toutes les mères se sentaient coupables, celles qui travaillaient se sentaient coupables de travailler, mais celles qui ne travaillaient pas se sentaient coupables de ne pas travailler), c’était grâce à la participation du papa. Si le père, le co-parent, prenait sa part de responsabilités dans l’éducation, s’il était vraiment investi, alors la culpabilité de la mère diminuait, et elle pouvait, soit travailler soit ne pas travailler, elle ne se sentait pas coupable, parce que la responsabilité était partagée. Donc la pression à être un parent parfait est là depuis très très longtemps. c’est en 1990 donc que j’ai écrit ce bouquin sur la culpabilité des mères, avec toute cette pression à être une bonne mère, et j’ai écrit ensuite “Il n’a pas de parent parfait”. C’était également avant la parentalité positive, et il y avait déjà cette idée de “Je veux être le parent parfait”. Donc on accuse aujourd’hui la parentalité positive de générer ça, mais non. c’est inhérent à l’état même de parent. Quand on est parent, on veut que notre enfant soit parfait, on veut être parfait, on veut être un bon parent, c’est juste logique. En revanche, la parentalité positive, elle va nous apprendre que non, il n’y a pas de parent parfait, il n’y a pas d’enfant parfait et ce qui est important c’est juste d’être heureux, le plus possible, et donc ça va beaucoup détendre, relâcher les tensions, et on va arrêter de partir dans des objectifs. Après c’est clair que, comme il y a un certain nombre de techniques qui sont proposées dans la parentalité positive, il y a toujours des gens qui vont se mesurer à l’aune de ces techniques, qui vont se dire “Ah tiens ça je n’y arrive pas, alors c’est que je suis nul”, etc., ils se mettent la pression. On se met la pression avec différentes choses, mais de toute façon la pression est inhérente. Notre pression, elle nous est mise déjà dans notre enfance. Nos parents nous mettaient la pression pour être une bonne petite fille, un bon petit garçon. Il fallait être comme ci, il fallait être comme ça, il fallait réussir ses études, donc on a appris à être parfaits, on a appris à être bons, on a appris à faire plaisir, à se dépêcher, on a appris à faire tout ça. Donc finalement, quand on se met la pression, ça a beaucoup plus à voir avec la pression que nous avons sur nous depuis notre enfance. Cette pression à être un bon à tout, à réussir tout, on l’a depuis très très longtemps. Elle n’est pas liée à la parentalité positive. Dans son essence, la parentalité positive va davantage être dans une permission d’être attentif à nos propres besoins, de prendre soin de soi, de prendre soin des enfants, et elle va souvent nous donner des clés pour que cela soit moins difficile. Mais c’est vrai que quand on découvre, que l’on apprend que crier sur un enfant va abîmer son cerveau, quand on apprend que donner une gifle à son enfant, ça peut vraiment abîmer son cerveau, son psychisme, son estime de lui-même, et qu’on le fait, qu’on n’a pas réussi à s’empêcher de le faire, on peut se sentir coupables et ça aussi, ça nous met la pression. Donc ça, c’est une nouvelle pression qui vient, car on commence à savoir l’impact de nos attitudes, et on a appris à être autoritaires, on a appris à être dans le conflit avec nos enfants, on a appris à être dans l’exercice de la force sur eux, on a appris à chercher à les contrôler en permanence. Du coup, quand les choses nous échappent et surtout quand on découvre que ce n’est pas la meilleure chose à faire, et que peut-être, eh bien ça ne lui fait pas du bien, c’est terrifiant. Donc il y a un moment où l’on se sent coupable et ça, c’est une saine culpabilité qui est à traverser. Je me suis sentie coupable des tas de fois avec tout ce que j’ai appris sur l’éducation, c’est clair que j’ai fait de multiples erreurs. Et pourtant, je connaissais déjà énormément de choses sur les émotions, je connaissais déjà énormément de choses sur plein de trucs, j’étais psychothérapeute, mais j’ai quand même fait beaucoup beaucoup d’erreurs, parce qu’il y a plein de choses que je ne savais pas. Et donc forcément, on passe par des moments de culpabilité, mais ça c’est une saine culpabilité qui va nous mener à réparer. Et dans la parentalité positive, c’est vraiment toujours un équilibre entre des facteurs de risque et des facteurs de protection. Donc quand je découvre que là, peut-être que j’ai accumulé des facteurs de risques pour mes enfants, c’est-à-dire que quand ils étaient petits j’ai crié, j’ai frappé, j’ai, peut-être en tant que mari ou que femme, j’ai été violent avec mon conjoint et ils ont vu ces violences, peut-être que je n’ai pas été assez attentif quand il y avait un deuil dans la famille, voilà, j’ai fait des erreurs. Et dans la parentalité positive, on ne dit pas “Oh ce n’est pas bien, vous êtes un mauvais parent !”, non. Au contraire, on va appliquer la parentalité positive, on va dire “Comment fait-on pour réparer ?”. La parentalité positive est fondée sur la psychologie positive, donc plutôt que de chercher où est l’erreur, plutôt que d’appuyer là où ça fait mal, on va voir comment l’on peut réparer, et comment, face à ces risques, on va pondérer et associer des facteurs de protection. Comment je peux aider à réparer ce qui a été un peu altéré ou gravement altéré ? Parce que nos enfants peuvent avoir subi des traumatismes. Il se peut que tout bébés ils aient été en pouponnière pendant un certain temps, qu’ils aient été séparés de nous, etc. Quelqu’un me parlait récemment d’une petite fille qui a peur la nuit et tout d’un coup il a réalisé que oui quand elle avait 2 mois, la maman était partie pendant une longue période en voyage. Elle ne savait pas que ça pouvait impacter et on n’a pas accompagné cela. Maintenant qu’ils le savent, ils peuvent réparer. “Je sais qu’il s’est passé ça, oui il y a eu un traumatisme, eh bien j’ouvre les yeux, je ne me dis pas “Je ne veux pas me culpabiliser, je ne veux pas voir que mon enfant a vécu des traumatismes, je ne veux pas me sentir coupable””, non. Ça, c’est une saine culpabilité. Là il y a eu traumatisme, je ne le savais pas, la culpabilité ce n’est pas se taper sur la tête en se disant qu’on est nul, non. c’est se dire que là oui on a fait une erreur, qu’on n’a pas vu quelque chose et maintenant qu’on le sait on va pouvoir réparer. c’est donc plutôt dynamique : comment fait-on pour progresser ?

55:23 CÉDRIC : Ah pour le coup vous avez anticipé un peu des questions que je voulais vous poser par rapport aux parents et je vous en remercie. Notamment sur la notion d’erreur. Quand on fait des erreurs, que l’on veut bien faire, que l’on sait ce qui se passe, on peut faire des erreurs, et j’ai rencontré des parents sur les réseaux sociaux qui me disaient “Moi j’ai lu Isabelle Filliozat, j’ai lu d’autres personnes, et là j’ai mis une gifle à mon enfant, ou alors j’ai crié sur mon enfant (bien sûr je parle de parents qui regrettent leurs gestes et qui sont dans un cheminement de réflexion derrière), je lui ai éclaté des neurones et sa vie est foutue”.

55:57 ISABELLE : c’est ce que je vous disais tout à l’heure. Comme on commence à en savoir un petit peu plus sur le cerveau, eh bien on se dit que ça y est on lui a cramé des neurones, et que c’est très grave. Mais d’abord c’est très important de savoir que des neurones on en refait toute sa vie et qu’il faut que quelque chose soit répété et répété pour que cela abîme vraiment. Donc oui, c’est vrai, quand un enfant est tout bébé, il produit un milliard de connexions nouvelles par seconde, c’est phénoménal, mais donc chaque sourire, chaque froncement de sourcil va marquer et inscrire quelque chose. Mais c’est extrêmement vaste et donc là encore c’est facteurs de protection et facteurs de risques, et dans mon livre “Il n’y a pas de parent parfait”, j’explique justement tout le processus pour réparer nos erreurs, parce qu’on ne peut pas ne pas faire d’erreurs, on fait forcément des erreurs. Et je rajouterais, Cédric, que c’est très important de faire des erreurs. Parce qu’il s’agit aussi de quelque chose que nous enseignons à nos enfants. Un enfant qui aurait un parent parfait, eh bien il ne pourrait pas grandir. Il serait tout le temps en admiration devant son parent, il ne saurait pas où est sa place. Un parent qui fait des erreurs et qui montre comment il fait pour réparer ces erreurs “Là j’ai fait une erreur, je reconnais que j’ai fait une erreur et je corrige”, ça, c’est vraiment riche d’enseignements. Nous ne pouvons pas ne pas faire d’erreurs. Ce n’est pas seulement une erreur quand on a donné une gifle à son enfant, ça peut arriver. Ça m’est arrivé à moi de crier, ça m’est arrivé à moi de donner une gifle à ma fille, et de frapper aussi mon fils, parce qu’il y a des moments où ça monte à l’intérieur et sur le moment je n’ai pas réussi à bloquer la chose. Pour ma fille, elle était en train de brandir un couteau vers son frère et là, ce sont les réactions biologiques qui sont sorties. Évidemment, après, je vais réparer. Je ne me dis pas que ce n’est pas grave. Mais on n’a pas besoin d’être parfait, on a besoin de réparer. Même frapper un enfant, même lui dire des choses méchantes, ça peut nous arriver, à l’impossible nul n’est tenu. Il y a des moments où ça nous habite trop fort, et après, par contre, eh bien on va réparer. Moi je suis déjà une deuxième génération de non-violence, mes parents n’ont jamais exercé aucune violence contre moi. Je n’ai jamais été dévalorisée, je n’ai jamais été punie. Et pourtant, j’ai senti cette impulsion de violence à l’intérieur de moi. J’espère que mes enfants n’en sentiront plus, mais on sait aujourd’hui que la violence subie se transmet de génération en génération. La violence subie par mes parents m’a habitée, et donc forcément il y a des moments où c’est à l’intérieur et ça risque de sortir. Il va falloir deux ou trois générations pour se libérer de cette tentation de la violence.

59:17 CÉDRIC : Je vous remercie de rappeler ce point qui me semble essentiel, le fait de se rappeler aussi d’où l’on part sur le thème des violences dites éducatives ordinaires, parce que les gens ont tendance à croire que ça y est, il y a une loi depuis 2019 et que tout va disparaître comme par magie. Et moi j’ai déjà dit dans d’autres interventions que si déjà, en 5 à 10 ans on arrivait à voir une diminution drastique des châtiments corporels et des humiliations conséquentes, ça serait déjà un pas de géant. Il ne faut pas se comparer à un pays comme la Suède, par exemple, qui a 40 ans d’avance sur le sujet, et dont plusieurs générations sont déjà arrivées à effacer tout cela.

59:53 ISABELLE : En regardant le film “Même qu’on naît imbattables !” de Marion Cuerq, j’ai pu entendre que les Suédois ne comprennent même pas l’idée de punition. Nous, en France, une punition c’est normal. On croit que c’est LA méthode d’éducation des enfants. Mais en Suède, ils ne comprennent même pas “Mais pourquoi ? à quoi ça peut servir ? c’est quoi une punition ?”, ils ne comprennent même pas l’idée d’une punition. Donc oui c’est vrai qu’ils ont un peu d’avance sur nous [rires].

60:26 CÉDRIC : c’est pour ça qu’il faut aussi être indulgents avec nous-mêmes et notre société. On ne va pas changer ça du jour au lendemain. Je vous remercie d’avoir apporté beaucoup de nuances dans la compréhension de ce qu’est l’éducation positive et dans application, notamment en rendant disponible cet ouvrage “Parents rebellez-vous ! Stop à la pression du parent parfait”. Merci beaucoup Isabelle Filliozat.

60:43 ISABELLE : Merci Cédric, et merci à tous et toutes de m’avoir écoutée.

CÉDRIC : Je vous remercie de m’avoir écouté, je vous invite à vous abonner, et nous pouvons aussi nous retrouver sur Facebook, Instagram et sur le blog Papatriarcat.fr. à bientôt.

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